Dominique Rossier, nouvelle présidente de la Fédération genevoise de coopération, a pour ambition de renforcer la collaboration entre les associations de solidarité internationale et le monde académique.
C’est une nouvelle ère qui débute pour la Fédération genevoise de coopération (FGC). Le « politique » René Longet a laissé fin mars la présidence de la faîtière cantonale des associations de développement à l’experte Dominique Rossier, à la longue expérience de terrain et de recherche. Juriste et urbaniste de formation, spécialiste des processus participatifs, la Genevoise a été coopérante dans le Sahel avant de bifurquer vers le monde universitaire. Elle est aujourd’hui responsable du master en politiques et pratiques du développement pour l’Afrique francophone à l’Institut de hautes études internationales et du développement (IHEID). Un CV qu’elle entend mettre à profit au sein de la FGC pour renforcer les interactions entre réflexion et action, entre expérience de terrain et expertise scientifique.
Vous êtes chargée de cours en développement à l’IHEID et active de longue date à la faîtière genevoise des associations de coopération (FGC). Comment voyez-vous votre apport à la présidence de cette dernière ?
Dominique Rossier : La nécessité d’intégrer à la fois l’action, la recherche et l’enseignement a marqué, dès l’origine, mon parcours universitaire et explique mon engagement en parallèle au sein de la FGC. Cette approche sur trois piliers est aussi celle de nombreux de mes collègues, à l’IHEID comme à l’IUED1, c’est pourquoi je me suis toujours sentie à l’aise dans ces instituts. Comme moi, de nombreuses personnes actives au sein des organisations membres de la FGC sont également passées par ces instituts. Je rappelle que l’IUED est l’un des membres fondateurs de la FGC et a été très actif lors de sa mise en place.
Ce lien n’a jamais été rompu mais il est vrai que depuis la fusion, il y a eu un ralentissement des activités communes. La volonté de la FGC, qui rejoint celle de la direction actuelle de l’IHEID, est de redynamiser et consolider ce partenariat entre deux institutions qui ont des valeurs communes de solidarité et de respect de la diversité. Nous avons d’ailleurs commencé par réactualiser le protocole d’accord liant les deux institutions.
Comment cette relation se traduit-elle concrètement ?
Par exemple, nous organisons des conférences communes, comme celle que nous mettons sur pied mardi prochain2 sur l’articulation entre aide humanitaire et coopération au développement, où nous associons des étudiants et étudiantes, des chercheurs et des membres d’organisations de la FGC, dont plusieurs sont confrontés à cette question sur le terrain : jusqu’où les ONG de développement peuventelles sortir de leur domaine de compétence propre, comment se coordonner avec les acteurs spécialisés, etc.
La question est ancienne mais recouvre une vraie actualité au vu des situations de crise que traversent certaines zones où la coopération est active, comme le Sahel, l’Afghanistan, la Colombie… Il s’agit donc de donner des outils aux ONG qui s’interrogent sur le soutien d’urgence, par exemple alimentaire, qu’elles pourraient être amenées à apporter dans certains pays d’Afrique, suite aux pénuries engendrées par la guerre en Ukraine. Et dans le sens inverse, comment les ONG de développement peuvent-elles inspirer les pratiques des humanitaires confrontés à la pérennisation de leur intervention. L’important étant de dépasser les chapelles et de travailler à partir des besoins et des moyens.
L’idée de ce partenariat renouvelé entre les deux institutions est d’identifier où l’IHEID peut enrichir les pratiques des associations mais aussi de voir comment ces dernières peuvent stimuler et nourrir la recherche. Ainsi, dans notre enseignement, nous nous appuyons beaucoup sur des études de cas inspirés de projets de la FGC, afin de passer de la théorie à la pratique.
Vous allez même partager les locaux…
Oui, la FGC est à l’étroit et va s’installer dans des locaux de l’Institut, les mêmes que ceux qu’elle occupait à ses débuts ! C’est un signe très clair de la volonté de la FGC et de l’Institut de renouer des liens forts et de redynamiser les échanges.
Quelle présidente de la FGC voulez-vous être : vous sentez-vous d’abord la représentante publique du mouvement genevois de la coopération ou plutôt comme quelqu’un qui doit l’accompagner, le gérer ?
A l’échelle de la FGC, je veux être la représentante de la coopération dans toute sa diversité. J’ai le souci de maintenir ce pluralisme, avec des organisations de taille, de force et d’opinions différentes, tout en gardant nos valeurs et notre label de qualité. Nous devons notamment accueillir d’autres organisations qui peuvent avoir des besoins d’accompagnement pour s’adapter à l’évolution et aux exigences actuelles de la coopération : celle-ci se professionnalise ; on doit être capable de démontrer des résultats et pour cela, il faut disposer d’outils de gestion permettant de les mesurer ; et les exigences en termes de communication ont également explosé.
En son sein, la Fédération regroupe une diversité d’ONG de par leur mode de fonctionnement (bénévoles ou salariés), le nombre de projets suivis et le volume financier sous gestion. Notre rôle est de soutenir l’ensemble de nos organisations membres quel que soit leur profil, y compris celles qui mettent en œuvre de petits projets qui peuvent avoir une très grande pertinence.
L’exigence de résultats n’est-elle pas devenue trop envahissante dans l’aide au développement ?
Le débat existe. Les rapports sont souvent jugés chronophages, coûteux. A la FGC, nous sommes attentifs à ce défi. Montrer des résultats, dans une coopération qui bénéficie de fonds publics, c’est important. Mais il y a plusieurs façons de le faire. Les données quantitatives n’apportent pas à elles seules des éléments pertinents. On peut aussi décrire les processus, expliquer la démarche, quels sont les objectifs, les difficultés rencontrées, etc. Il ne s’agit pas de démontrer que tout va bien, mais également de comprendre les obstacles au bon déroulement d’un projet ! Dans les formations données à nos membres, nous insistons beaucoup pour que les rapports de suivi de projets présentent les forces des partenaires de terrain, les réussites mais aussi les risques de ne pas atteindre tous les objectifs.
L’inclusion des populations locales dans la réalisation des projets de développement est un de vos sujets de prédilection et une ancienne préoccupation de la FGC. Est-elle toujours la panacée ?
Toutes nos organisations membres travaillent avec des partenaires sur le terrain, eux-mêmes en lien direct avec les bénéficiaires. La participation des partenaires locaux à la conception et à la réalisation des projets est capitale : ce sont eux qui connaissent les besoins des populations locales. Avec ces dernières, la participation est importante mais elle n’est pas toujours facile. Il s’agit de surmonter un certain nombre d’écueils : le réalisme des demandes, les limites budgétaires, le cadre légal et la divergence d’intérêts des parties prenantes. Les processus participatifs sont incontournables pour réaliser de bons projets mais ils doivent être conduits de manière très professionnelle. Imposer un projet sans concertation, cela ne marche pas.
Traditionnellement, la coopération au développement privilégie les zones rurales, paysannes. Or, aujourd’hui la majorité de la population vit en ville. Le défi de l’aménagement du territoire est immense. Qu’en pensez-vous, vous qui êtes urbaniste de formation ?
C’est vrai, le défi est immense. Mais parmi les organisations membres de la FGC, plusieurs d’entre elles travaillent en milieu urbain, sur des questions d’accès au logement décent, de gestion des déchets et de potagers urbains, par exemple. Dix pourcents des projets soutenus en 2021 s’inscrivent dans l’ODD 11 (Objectif du développement durable, Villes et communautés durables). Ces réalisations pourraient être source d’inspiration.
L’aide au développement intervient dans des pays qui possèdent leurs propres ressources. Ne devrait-elle pas se soucier davantage de renforcer les acteurs sociaux et politiques du Sud capables de mobiliser ces richesses, plutôt que de travailler par projets ?
Nous le faisons déjà ! Nous avons des organisations qui travaillent beaucoup sur le plaidoyer. Faut-il le faire davantage ? Je trouve l’équilibre actuel satisfaisant. La coopération a toujours une dimension politique et les associations sont invitées à s’interroger sur la dynamique institutionnelle à l’œuvre autour de leur projet.
Face à un canton de Genève qui s’enrichit largement sur le dos des pays en développement mais ne respecte pas sa propre loi attribuant le 0,7% de son budget à la solidarité, la FGC ne devrait-elle pas parler d’une voix plus forte ?
Nous publions tous les cinq ans des statistiques qui détaillent l’engagement des collectivités publiques genevoises dans la solidarité internationale et documentent l’évolution du 0,7%. Lors de la présentation de la 8e édition, l’automne dernier, nous avons regretté que le pourcentage accordé à la solidarité internationale par le canton reste stable. Notre périmètre d’expertise est la coopération au développement et ses conditions cadre. Notre travail est de soutenir nos organisations membres dans la réalisation de leurs projets et de sensibiliser le public genevois à l’importance de la coopération, à la nécessité d’être solidaire.
Nous devons convaincre tous les acteurs, quel que soit leur bord. C’est ce que je vais continuer à faire dans la lignée de mes prédécesseurs.
https://lecourrier.ch/2022/05/19/la-cooperation-allie-action-et-reflexion/
Notes
>L’Institut universitaire d’études du développement (IUED) a fusionné avec l’Institut universitaire
↑1 de hautes études internationales en 2008 pour devenir l’Institut universitaire de hautes études internationales et du développement (IHEID ou Graduate Institute).
>Dès 18h30, à l’auditorium Ivan Pictet (IHEID, ch. Rigot 2 ou on-line). Participeront sa directrice Marie-Laure Salles, Catherine Schümperli Younossian, secrétaire générale de la FGC, Jacques
Forster, professeur honoraire de l’IHEID, ancien vice-président du CICR, Derek Müller, chef de
↑2 division à la DDC, Oliver Jütersonke, directeur de recherche au Centre sur les conflits, le développement et la construction de la paix (CCDP), et Dominique Rossier. Inscription sur https://fgc.federeso.ch